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[CAF Leaks] : Acte 2 – Les Droits TV

Nous continuons notre série de dossiers consacrée aux affaires trainées par le président de la Confédération Africaine de Football, Monsieur Ahmad, et abordons dans cet article le sujet des Droits TV.

Il faut avant tout comprendre qu’une confédération de football a trois principales sources de revenus : Les Droits TV, le Sponsoring et le Naming outre les dotations faites par la FIFA, elle-même soumise au même modèle économique.

Pour ce qui est des droits TV, la CAF peut remercier la société SportFive qui lui a permis de se développer dès le milieu des années 90 et proposer à chaque édition une offre de plus en plus attractive. En réalité c’est un accord gagnant-gagnant entre les deux entités et chacun y retrouve son compte. Cette collaboration a noué des relations privilégiées entre les deux structures. SportFive est en charge de revendre les droits TV aux différents diffuseurs dont l’offre la plus importante est la Coupe d’Afrique des Nations et les diffuseurs les plus friands sont ART, Eurosport, CANAL+ (France & Overseas) ou encore BBC et Sky Sports pour les plus nantis. Plus tard ça sera le tour des chaines Al Jazeera, désormais commercialisées sous la marque beIN Sports.

En novembre 2006, SportFive est acheté par le groupe Lagardère, après un court passage dans le giron d’Advent International.

Jusqu’en 2008, le contrat liant la CAF à SportFive générait un montant fixe pour la confédération, charge à SportFive de faire fructifier son investissement. Pour l’accord 2008-2016, la CAF et SportFive ont convenu d’un nouveau mode de collaboration basé sur un mode de licencing où SportFive revend les droits de la CAF avec un minimum garanti de 150M$. Ce montant a été augmenté au fur et à mesure jusqu’à 240M$ suite à l’ajout de nouvelles compétitions. Ce contrat a en réalité engendré 307M$ de revenus.

À partir de septembre 2014, la CAF engage les négociations avec Lagardère sur la base des clauses de renouvellement du précédent contrat qui octroie à la société française le droit de « Premier et Dernier Refus ». Le droit de premier refus oblige la CAF à solliciter Lagardère pour la nouvelle période. Si l’offre de Lagardère est satisfaisante, les deux parties signent le contrat. Si au contraire, l’offre est jugée non intéressante, la CAF a la possibilité de consulter le marché pour obtenir une offre. Si cette dernière est supérieure à celle de Lagardère, la société dispose du droit de dernier refus qui lui permet de s’aligner sur l’offre la mieux-disante et remporte le marché.

Le 24 décembre 2014, la CAF envoie une lettre demandant un minimum garanti de 750M$ couvrant les compétitions majeures de la CAF pour une durée de 8 ans.

Le 25 mai à Zurich, le comité exécutif de la CAF donne son accord sur les principaux termes avec Lagardère. La CAF signe alors avec Lagardère le 11 juin 2015 à Paris un MoU (Memorandum of Understanding) d’une dizaine de pages faisant office de lettre d’intention.

Issa Hayatou, président de la CAF qui a signé le contrat avec Lagardère.

Les négociations achoppent sur le montant du minimum garanti que Lagardère considère trop élevé. La CAF, en négociation exclusive, a été approchée de façon officieuse par deux autres acteurs du marché que sont Infront et B4 avec des offres autour de 500M$. La société française souffle l’idée de 12 ans à la CAF qui envisage un minimum garanti de 1,2Md$. Lagardère finit par proposer un minimum garanti de 1Md$ à conditions de porter le contrat à 12 ans.

Le 27 octobre 2015 au Caire, le comité exécutif de la CAF, dont Ahmad Ahmad, valide de façon unanime les termes principaux de l’accord. Ce sont en tout 6 réunions auxquelles le COMEX, avec Ahmad Ahmad entre autres, assiste pour suivre le dossier et le valider de façon unanime.

La collaboration entre SportFive et la CAF aboutit alors à la signature d’un contrat historique, le 26 septembre 2016 pour les Droits Marketing et Médias sur la période 2017-2028. Il s’agit d’un, Full Form Agreement, d’une centaine de pages où Lagardère propose un chèque d’un milliard de dollars multipliant ainsi les droits par 4,5. Toutefois, cette longue durée a tout de suite été critiquée surtout dans un monde de football inflationniste d’une année à une autre. 

Mais, c’est en Égypte que la critique a été la plus virulente. En effet, en 2016, une entreprise égyptienne, Presentation Sports, propriété de l’homme d’affaires Ahmed Abou Hashima, avait tenté de concurrencer Lagardère sur ce dossier. La société avait proposé une offre supérieure à celle de Lagardère pour ces mêmes droits dont le montant est de 1,2 milliard de dollars. La CAF a jugé cette offre non sérieuse, reçue la veille de la signature du contrat dans un hôtel par le 1er vice-président Suketu PATEL par une société dont le capital est de 100 000$ et qui n’existait pas au moment de la signature du MoU.

D’un côté, la commission de concurrence de la COMESA, Marché commun de l’Afrique orientale et australe, ouvre une enquête sur de prétendus accords anticoncurrentiels entre la CAF et Lagardère SAS le 13 février 2017.

De l’autre côté et comme le siège de la CAF se trouve en Égypte, Presentation Sports saisit l’Autorité égyptienne de la concurrence (ECA). Cette dernière a estimé que la CAF avait abusé de sa « position dominante ». L’ECA a par la suite obtenu le renvoi d’Issa Hayatou et du marocain Hicham El Amrani devant la Cour économique d’Égypte. Hayatou publie alors un communiqué dénonçant le caractère grotesque du jugement.

Il faut noter que l’Égypte a fortement contribué à la chute d’Issa Hayatou en soutenant l’actuel président de la CAF, le Malgache Ahmad qui avait promis de revoir tous les contrats signés pendant l’ère Hayatou. Il en a fait un des thèmes de sa campagne bien qu’il ait validé en tant que membre du COMEX le dit contrat. Il aurait promis à l’Égypte pour son soutien de ne pas déplacer le siège de la CAF du Caire, de nommer un secrétaire général égyptien entre autres.

Une fois au pouvoir, Ahmad semble être occupé par d’autres sujets que les revenus principaux de la CAF. Un mois et demi après son élection il fait changer les statuts de la CAF pour nommer le marocain Faouzi Lekjaâ comme 3e vice-président. Le 16 novembre 2017, il débauche l’égyptien Amr Fahmy de chez Lagardère pour le nommer secrétaire général de la CAF. Ce dernier accepte dans l’objectif de renégocier les droits TV.

Auparavant, le 20 juillet 2017 Ahmad annonce le passage de la CAN de 16 à 24 équipes avec un décalage de la compétition en été au lieu de l’hiver habituellement. Ce changement ouvre une vraie possibilité de renégocier les droits TV comme le stipule l’article 9.6 du contrat signé avec Lagardère.

En façade, les deux parties semblent être de bonne conciliation. Dans les faits, les choses trainent ce qui pousse la COMESA à auditionner Ahmad le 19 octobre 2018 pour le non respect de sa promesse de réviser les contrats accordés, en violation des règles de la concurrence, au groupe Lagardère Sports. La COMESA regrette notamment qu’aucune action sérieuse n’a été entamée pour traiter cette affaire depuis son élection en dépit des poursuites judiciaires engagées par la COMESA en mars 2018 contre l’ancienne direction du football africain.

La CAF a tout de même mandaté le congolais Constant Omari Selemani, le marocain Faouzi Lekjaâ et l’égyptien Hani Abou Rida avec le support du secrétaire général de la CAF, Amr Fahmy pour mener les négociations avec Lagardère.

Source TF : Comité Stratégique responsable des négociations

Le 4 juin 2018, Amr Fahmy écrit à Lagardère pour leur demander de fournir dans les 60 jours une nouvelle offre de droits de diffusion conforme aux règles de la CAF. Selon l’égyptien, Lagardère fait trainer les choses. Il a l’intention de les trainer en justice pour faire valoir les droits de la CAF mais les 2 vices-président font pression sur lui pour discuter avec Lagardère s’appuyant sur la réunion du 25 juillet 2018 à laquelle le secrétaire général n’a pas assisté. Il faut noter que selon l’article 9.5 du contrat, si les deux parties n’aboutissent pas à un accord durant 60 jours à partir de la première requête entre les deux parties, elles peuvent enclencher une démarche contentieuse telle que précisée dans l’article 12.10

Source TF : Article 9.5 du contrat « Full Form Agreement » entre la CAF et Lagardère

Lagardère écrit à la CAF le 16 juillet 2018 acceptant la prise en compte de l’article 9.6 du contrat mais conteste l’intérêt économique du changement de formule de la CAN. Ce à quoi répond le secrétaire général de la CAF, l’égyptien Amr Fahmy, le 31 juillet 2018 à Lagardère Sports Afrique et son directeur général, le Marocain Idriss Akki, expliquant l’augmentation du nombre de matchs, de pays et la période estivale plus favorable pour les diffuseurs de la nouvelle formule à 24 équipes.

Source TF : Lettre de Lagardère envoyée au Président Ahmad
Source TF : Réponse de l’égyptien Amr Fahmy (CAF) au marocain Idriss Akki (Lagardère)

Il s’ensuit une période de convalescence de 5 mois du secrétaire général qui donne des directives au comité stratégique responsable des négociations pour aboutir à un accord en faveur de la CAF. Ce dernier fera fi de ces directives et n’obtient aucun gain pour la CAN 2019.

Outre l’intérêt pour la CAF de l’augmentation des droits TV, le pays organisateur, en l’occurrence l’Égypte, doit bénéficier de 20% des dits droits. Les experts s’accordent à dire que l’augmentation du nombre de matchs, avec 20 rencontres en plus et la période de diffusion estivale propice aux diffuseurs sportifs, doivent amener les droits TV pour la CAN 2019 autour de 100M$ au lieu des 50M$ contractualisés.

Il faut comprendre qu’il existe un barème approuvé par le comité exécutif où chaque compétition a son minimum garanti et le contrat global est sous divisé en 3 cycles de 4 ans pour au final atteindre le minimum garanti de 1 milliard de dollars. Par exemple le minimum garanti pour la CAN 2015 (précédent contrat) était de 15.6M$. Pour le nouveau cycle (2017-2028), celui de la CAN 2017 et 2019 est de 50M$ chacune (sous cycle de 4 ans). Les minimums garantis des éditions suivantes, à partir de 2021, augmenteront progressivement.

Fahmy est furieux contre le comité stratégique et accuse Ahmad de connivence avec le marocain Idriss Akki. Avec d’autres faits qu’il reproche au président, il commence à constituer un dossier accusant Ahmad de corruption et de harcèlement sexuel qu’il envoie à la FIFA le 31 mars 2019.

Après cette accusation, le 11 avril 2019, Ahmad décide de licencier Amr Fahmy.

Bien qu’Ahmad ait déclaré, en réponse à Amr Fahmy, par presse interposée, que la CAF a obtenu une réduction de la durée du contrat en la passant de 12 ans à 8 ans tout en maintenant le même montant garanti de 1Md$, aucune annonce publique n’a été faite sur l’augmentation de ces droits notamment pour la CAN 2019. Aucune annonce d’augmentation pour les diffuseurs de la compétition, ni pour les bénéficiaires de ses droits et notamment l’Égypte le pays organisateur. La CAF accuserait un manque à gagner de 50M$ dont 10M$ pour l’Égypte.

Une source proche du dossier nous indique mettre en doute la volonté de Lagardère de revenir sur la durée du contrat. Pour cet expert, Lagardère veut bien éventuellement modifier certaines choses pour maintenir une bonne relation avec la CAF mais la société a des lignes rouges à ne pas franchir. La durée du contrat étant l’une d’entre elles.

Nous vous laissons seuls juges de la conclusion à faire sur ce dossier. Ce qui est sûr est qu’Ahmad a à la fois validé le contrat avec Lagardère en tant que membre du comité exécutif et lors de sa campagne dénoncé ce même contrat. Une fois élu, il a engagé les négociations mais malgré les annonces faites, aucune modification n’est faite sur les droits de la CAN 2019 qui démarre dans quelques jours.

Pour récapituler ce dossier voici une chronologie des évènements que nous avons collectés :

  • 20 Novembre 2006 : Lagardère achète SportFive pour 865M€
  • 10 Mars 2013 : Ahmad devient membre du Comité exécutif de la CAF représentant de la zone Sud
  • 12 Juin 2015 : Lagardère annonce par communiqué de presse la prolongation de la commercialisation des droits médias et marketing pour la période 2017-2028.
  • 26 Septembre 2016 : Issa Hayatou signe avec Lagardère le contrat des cessions des droits média et marketing pour 1Md$ et une durée record de 12 ans
  • 13 Février 2017 : La COMESA, Marché commun de l’Afrique orientale et australe réputée alliée de l’Égypte, ouvre une enquête sur de prétendus accords anticoncurrentiels entre la CAF et Lagardère SAS
  • 16 Mars 2017 : Ahmad est élu nouveau président de la CAF. Le Marocain Faouzi Lekjaâ remporte le siège de l’Afrique du Nord au comité exécutif de la CAF
  • 08 Mai 2017 : Ahmad fait modifier les statuts de la CAF et nomme Faouzi Lekjaâ comme 3e vice-président
  • 07 Avril 2017 : Durant une conférence de presse, Ahmad estime que le contrat passé par son prédécesseur avec Lagardère « n’est pas un bon contrat ».
  • 20 Juillet 2017 : La CAF annonce le passage de 16 à 24 équipes et le décalage de la compétition à l’été
  • 16 Novembre 2017 : Ahmed nomme l’égyptien Amr Fahmy, actuel directeur des opérations pour l’Afrique au sein de Lagardère, comme secrétaire général de la CAF après avoir quitté l’institution en août 2015 quand il était directeur du tournoi de la CAN
  • 07 Avril 2018 : Dans un entretien à RFI, Ahmad indique que « Lagardère Sports a accepté de discuter ».
  • 16 Juillet 2018 : Lagardère écrit à la CAF acceptant la prise en compte de l’article 9.6 du contrat mais conteste l’intérêt économique du changement de formule de la CAN
  • 25 Juillet 2018 : La CAF et Lagardère s’accordent à réduire la durée du contrat et augmenter le minimum garanti de 1Md$ en l’absence du secrétaire général
  • 31 Juillet 2018 : Amr Fahmy écrit au Marocain Idriss Akki, directeur général de Lagardère Sports Afrique, expliquant l’intérêt économique de la nouvelle formule à 24 équipes
  • 04 Septembre 2018 : Le délai de 60 jours est écoulé mais la CAF n’engage rien contre Lagardère pour garantir ses droits
  • 30 Septembre 2018 : La CAF annonce lors de son AG que le contrat Lagardère sera renégocié avant la fin de l’année 2018
  • 05 Octobre 2018 : La CAF informe Lagardère que les négociations seront menés par le congolais Constant Omari Selemani, le marocain Faouzi Lekjaâ et l’égyptien Hani Abou Rida avec le support du secrétaire général de la CAF, Amr Fahmy.
  • 19 octobre 2018 : La COMESA auditionne Ahmad pour le non respect de sa promesse de réviser les contrats accordés en violation des règles de la concurrence au groupe Lagardère Sports.
  • 19 octobre 2018 : La COMESA regrette qu’aucune action sérieuse n’a été entamée pour traiter cette affaire depuis son élection en dépit des poursuites judiciaires engagées par la COMESA en mars 2018 contre l’ancienne direction du football africain.
  • 30 Novembre 2018 : Le président Ahmad annonce que la CAF a décidé de retirer la CAN au Cameroun
  • 08 Janvier 2019 : Le président Ahmad annonce que c’est l’Égypte qui organisera la CAN 2019
  • 01 Février 2019 : Le libérien Musa Bility accuse Ahmad d’abus de pouvoir et notamment l’attribution de la CAN 2021 au Cameroun
  • 31 Mars 2019 : Amr Fahmy, le secrétaire général de la CAF, envoi un dossier à la FIFA accusant Ahmad de corruption et de harcèlement sexuel
  • 11 Avril 2019 : Le président Ahmad limoge l’égyptien Amr Fahmy. Il nomme le marocain Mouad Hajji en tant que nouveau secrétaire général

Majed

Passionné de football depuis mon jeune age, je suivais mes deux équipes favorites, l'Espérance Sportive de Zarzis et le Club Africain que j'ai découvert à l'époque des Lotfi Mhaissi, Hédi Bayari, Kamel Chebli et Lassaad Abdelli. J'ai réellement rejoint Internet en 1994 en étant à l'ENSAM pour ensuite gérer le forum du CA en 1996 puis plusieurs sites personnels dédiés au CA et à l'ESZ. J'ai fondé Tunisie-Foot.com en 1998 au travers d'un site traitant du football tunisien qui aura son nom de domaine et son serveur dédié en 2000.
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