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[CAN 2019] : L’Oeil de Radhi Jaïdi

Tunisie-Foot : Bonjour Rahdi Jaïdi! Comment vas- tu ?

Radhi Jaïdi : Très bien! Je vous remercie pour votre invitation.

TF : C’est fou ce résultat !

RJ : Le plus important est fait, la qualification au deuxième tour, malgré les mauvaises prestations dès le début. Il y a aussi de la déception. Les attentes étaient grandes avant le début de ce tournoi, mais bon que peux-tu faire ? Le football c’est aussi cela, le niveau du football Africain a beaucoup progressé. Regarde, individuellement les joueurs Africains de base ont déjà beaucoup de qualité, du nord au sud, de l’est à l’ouest. Il y a beaucoup d’individualités propre à l’Afrique, il y a un talent naturel. Aujourd’hui les équipes sont beaucoup plus organisées. Les petites équipes ont changé de stratégie, la qualité des joueurs s’est développée parce que pratiquement toutes les équipes ont changé de stratégie et ont commencé à ramener des joueurs formés et nés en Europe. C’est ce qui a fait la différence !

La Tunisie est toujours l’une des nations en Afrique qui a du talent. De plus nous avons la structure qui peut concurrencer le football des autres pays en Afrique, le seul problème c’est que nous somme très têtus. On ne veut pas avancer car on pense connaître tout sur tout, et c’est cela la mentalité en Tunisie. Il faut être ouvert, aller à l’extérieur, il faut ouvrir, découvrir d’autres choses pour le potentiel Tunisien . Le développement des joueurs, les infrastructures c’est catastrophique, la science du sport là dessus on est encore trop loin en Tunisie. Tout cela rejaillit négativement sur les performances de l’équipe nationale et la conséquence c’est la continuité sur la performance de notre équipe.

Pourquoi ? Parce qu’il y a des joueurs qui pensent qu’ils seront toujours là, que leur place est garantie. Il y a certaines choses qui se passent dans « les coulisses » au cours des stages de préparations des joueurs qui ne sont pas acceptables mais qui sont tolérées . C’est tout un ensemble pour moi, on est en train de payer le manque d’engagement de nos joueurs, du staff , et des responsables des instances de notre football a des moments clefs.

TF : A des moments clefs ? A quoi fais-tu allusion exactement ?

RJ : Oui a des moments clefs, des tournois importants comme par exemple la coupe du monde.

La coupe du monde c’est quelque chose de très fort, mais la CAN c’est une bonne occasion de pouvoir s’imposer et de confirmer que nous sommes toujours un des grands pays d’Afrique. Mais malheureusement pour le moment ce n’est pas le cas. Mais je garde espoir pour que ça change un peu au second tour de la CAN. Ils (les joueurs) vont nous donner un peu d’espoir et d’énergie, mais je ne suis pas encore convaincu pour le moment.

Surtout après ce que j’ai vu contre la Mauritanie qui est une équipe modeste. Une équipe qui peut te permettre d’imposer ton football, tu peux t’en sortir mais nous n’avons même pas su faire ça. Pourquoi ? L’équipe n’avait pas de cohésion entre elle, pas de rage de vaincre. Le pire c’est qu’il n’y avait pas de « grinta » comme on dit, on l’a pas ressenti .

TF : Problème d’engagement de nos joueurs ? Pourtant il semblait avoir un léger mieux au deuxième match tu ne trouves pas ?

RJ : Contre le Mali sur le deuxième match, on était obligés d’avancer un peu mais tu ressentais qu’il n’y avait pas de volume de jeu, de volonté de faire quelque chose. Je ne veux pas me comparer ou comparer les générations precedentes à maintenant, mais nous par rapport à ces joueurs là nous n’étions pas mieux techniquement mais ce qu’il manque c’est la grinta, c’est la rage de vaincre. On était vraiment très concernés, on descend sur le terrain pour se battre, on prend ça très au sérieux. On le dit et on le montre en plus, c’était pas qu’une d’image qu’on voulait montrer sur les plateaux télévisés !

TF : C’est vrai à part un petit passage à vide en 2002 tu ne trouves pas ?

RJ : En 2002, tout de suite après la CM 98 il y avait des hauts et des bas, de 98 à 2003. La CM 98 après Kasperczak, des joueurs clefs ont arrêté, se sont retirés du football, donc il y avait des hauts et des bas. Même les entraîneurs c’était pareil ils se sont succédés. Il y avait beaucoup de changement et on n’a pas trouvé la combinaison, mais tout de suite en 2003 après l’entrée de Roger Lemerre on a trouvé la combinaison c’était une génération où il y avait de l’entraide, de l’expérience, de l’énergie, de la vivacité sur chaque compartiment. Il y avait de l’assurance, on était très confiant plus la rage de vaincre et la grinta . Ça, c’est vraiment ce qui nous manque en équipe nationale depuis longtemps. L’entraîneur ou même son assistant (Kanzari) doivent au moins aider dans ce côté là même si l’entraîneur ne prend pas de décisions tactiques, il faut au moins trouver un plan quelque chose qui engage les joueurs pour être la main dans la main, avoir une culture ou des valeurs qui nous aident à développer cette chose là. Même à court terme.

TF : Sur le match lui même, la dispotion tactique, sur le jeu qu’en a tu pensé ?

RJ : Bon aujourd’hui on a joué en 4-2-3-1, Giresse a joué en première mi-temps avec Khazri et derrière lui Sliti puis Srarfi et Mskani. Malheureusement je n’ai pas vu Srarfi dans ce match, il n’a pa su s’imposer devant. D’ailleurs chacun a sa place devant, on a la qualité mais tu sens qu’on était un peu individuel. Si tu donnes du lien entre les trois, quatre joueurs devant, quelques connexions, quelques habitudes, des idées, tu peux alors avoir quelque chose de très dangereux en attaque.

Au milieu de terrain, il y a des combinaisons entre Skhiri et Aouadhi, c’est intéressant, bien que Skhiri soit très défensif. Il nous équilibre le jeu. Il a cette justesse pour relancer le ballon quand il le faut mais Aouadhi n’était pas dedans. Il n’était pas effectif sur le côté offensif. Principalement sur les mouvements entre lui, Skhiri et Sliti , il faut toujours avoir des rotations pour créer les espaces, pour avoir le ballon entre et derrière les lignes pour progresser avec le ballon dans le milieu de terrain et faire le lien devant.

Sliti quant à lui monte trop devant. Donc il laisse de l’espace, ça dépend des fois parfois tu trouves Mskani qui y est présent et capable de combler cet espace, parfois tu trouves tous les joueurs sur le côté et tu ne trouves personne au milieu. Même Khazri, alors qu’il est notre attaquant. D’ailleurs je ne suis pas fan de cette idée, Khazri attaquant, car il a l’habitude de jouer sur les côtés avec Saint Étienne. Surtout, Khazri montre qu’il s’ennuie, qu’il n’est pas épanoui donc il n’est pas si convaincu du rôle dans lequel il joue. Ça je l’ai vu depuis sa coupe du monde.

En défense, Bronn et Meriah, le bon point c’est qu’ils s’en sortent bien. On a un très grand problème sur les couloirs à gauche et à droite. L’arrière gauche, Haddadi fait ce qu’il peut, il essaye, ses montées n’ont pas de grand impact surtout quand il arrive dans les derniers mètres pour une passe ou trouver un centre ou chercher un attaquant avec le ballon, il manquait de précision. A droite, Kechrida est en train de monter, mais je pense que depuis son premier match j’ai senti qu’il lui manquait beaucoup de choses, des connaissances footballistiques, il doit chercher le lien entre l’aile et le milieu de terrain. Il peut encore se corriger.

Le fait qui il y ait eu beaucoup de changements par rapport au premier match, témoigne du fait que l’entraîneur cherche encore la bonne combinaison. Malheureusement je ne pense pas qu’il l’a trouvé. Pourquoi ? Parce que c’est le comportement des joueurs sur le terrain qui le démontre, cela peut inquièter l’entraîner et finalement en fin de compte les fans qui sont entrain de les regarder, les médias, tous les connaisseurs du football. Et puis il y a un autre côté, il y a la philosophie que Giresse a mis en place avant ce tournoi . Avoir une équipe jeune, avoir des joueurs qui n’ont aucune expérience en coupe d’Afrique, il n’a pas essayé de prendre des joueurs expérimentés dans son groupe. Je pense que cette philosophie arrive un peu tôt. De mon avis personnel, Ali Maaloul aurait pu s’imposer lors du premier match car on a eu de très gros problème sur les couloirs droit et gauche.

Le premier match était un match clef. A droite Bedoui est très défensif. C’est un defenseur central tu ne le fais pas jouer à droite! Historiquement on a toujours eu en Tunisie des arrières droits offensifs, de Tarek Thabet à Hatem Trabelsi. Idem côté gauche, de Balya à Clayton à Anis Ayari. On a toujours eu des arrières qui peuvent toujours avancer quand on a de l’espace, quand on change le jeu et crée le surnombre sur le côté. Et finalement avoir des centres et du lien avec l’entre jeu.

Au premier match contre l’Angola, quand le numéro 8 Angolais, l’arrière gauche était monté il laisse beaucoup d’espace, et à un moment donné nous avons joué en anticipation et en interception. Et quand nous possédons le ballon on ne trouve pas la passe, ou bien on perd le ballon ou bien nous ralentissons le jeu et l’adversaire a le temps de rattraper son erreur. Ce sont tous ces petits détails qui font beaucoup de différence ! Même si Giresse a utilisé les noms qui sont connus en Tunisie, qui ont de l’expérience, de la qualité mais il y a des postes clefs. Même si tu veux amener des jeunes qui ont un potentiel, il faut toujours avoir quelqu’un devant ou derrière pour les guider. Et prendre beaucoup de temps pour les connecter, les activités sur le terrain, à l’hôtel.

Parce que aujourd’hui la Tunisie a changé dans sa mentalité et dans la qualité les joueurs ont changé. Ce n’était pas comme nous à notre époque. Je connaissais Zied, Hatem et Rhiad, la base de notre équipe c’était des joueurs Tunisiens nés en Tunisie, on jouait entre et contre nous dans le championnat local, il y avait donc de la connexion.

Moi je pense que le rôle de l’entraineur de l’équipe nationale aujourd’hui ce n’est pas un rôle quelconque, ce n’est pas juste 90 minutes sur le terrain. Il faut dépenser beaucoup de temps en dehors aussi pour pouvoir toucher à la mentalité et à la perception du joueur. Je pense que le problème n’est pas seulement tactique, mais de mentalité.

Comment entamer les challenges ? Là où les stars doivent prendre en considération les petits détails qui peuvent vraiment faire la différence .

TF : Quand on voit toutes les réactions post-match, il y a un acharnement contre Giresse, quel est ton avis là dessus ?

RJ : Oui c’est trop facile, tu sais nous en tant que Tunisiens nous somme très émotionnels par rapport aux résultats donc bien sûr l’entraîneur paye pour les performances et les résultats c’est une évidence. La seule chose c’est qu’il faut avoir toute une lecture bien détaillée par rapport à ce qu’il s’est passé lors du premier match et même avent d’ailleurs, dans la philosophie que l’entraîneur a pris pour la sélection des joueurs déjà. Tiens par exemple Ferjani Sassi, bien qu’il soit blessé pour une longue période, avec cette blessure il se trouvait à la limite d’un retour en sélection. Est-ce qu’on le convoque ou bien on convoque un autre joueur qui peut avoir un impact au moins psychologique dans le groupe ? Certes c’est difficile, mais il faut prendre cela en considération, il faut savoir gérer cela.

TF : Nous allons jouer contre le Ghana, si tu prenait possession de l’équipe aujourd’hui, comment aborderait tu ce match ?

RJ : Bon c’est une équipe qui est très très difficile, le Ghana sont les premiers dans leur groupe, ils ont battu le Cameroun et gagné leur autres matchs.

Je ne peux pas répondre à cette question car tout simplement je n’ai pas pris l’équipe dès le départ, je ne peux dans ma tête la prendre en moitié de parcours. Si tu me donne par exemple 30 ou 25 joueurs, tu me demandes de sélectionner 22 joueurs pour disputer une coupe d’Afrique, alors là j’aurais pu m’exprimer. Par rapport au deuxième tour, je peux gérer les choses mais jouer le Ghana avec l’équipe actuelle, je te dirais que tu peux faire des choses classiques. Et puis le changement d’entraîneur en Europe, on connaît cela à toujours un impact psychologique, les joueurs veulent tout faire pour satisfaire leur nouvel entraîneur. Mais je ne veux pas m’avancer par rapport à cela. La seule chose que je peux faire c’est de regarder.

Tykra

Passionné par la Tunisie et le football en général, j’ai découvert Tunisie-Foot en 2005, la référence du football tunisien depuis 1998 !
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