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[Exclu TF] : Interview de Mehdi Abid

Mehdi Abid est un agent de joueurs franco-tunisien qui a su développer les qualités que ce métier exige. Être discret en mettant en valeur les joueurs et avoir une connaissance la plus approfondie des rouages du football. C’est ce qui lui a certainement permis de rejoindre l’agence de Stéphane Courbis. Il partage avec nous au travers de cette interview, son expérience, son avis sans langue de bois et nous donne une vision éclairée de son métier mais surtout de notre football au travers de son prisme. Nous vous souhaitons une bonne lecture.

TF : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

MA : Je m’appelle Mehdi Abid j’ai 39 ans, je suis conseiller sportif au sein de l’agence SC Sport Management.Je suis un passionné de football depuis mon plus jeune âge. J’ai toujours baigné dans l’univers du football. J’ai joué au club de Suresnes, le club formateur de Ngolo Kanté. J’ai fait toutes les catégories jeunes jusqu’aux seniors au sein de ce club où j’ai été éducateur chez les jeunes. Mon père était un ancien gardien de but à l’Étoile Sportive du Sahel. C’est lui qui m’a transmis sa passion.

Une personne qui débute mais qui n’a pas de gros carnet d’adresse, c’est très compliqué.

TF : Comment devient-on agent ?

MA : Depuis le mois d’avril 2015 la FIFA a supprimé le système de licence. Son exercice n’est plus soumis à la détention d’une licence sauf en France où pour exercer il faut être titulaire d’une licence.
Il faut donc passer un examen comportant une épreuve sur le droit général et avoir des connaissances juridiques très solides. Puis une deuxième épreuve dite spécifique qui porte sur les dispositions règlementaires spécifiques au football. Mais la qualité première c’est le carnet d’adresse.
Une personne qui débute mais qui n’a pas de gros carnet d’adresse, c’est très compliqué.

TF : Quel chemin vous a mené à votre agence bien réputée ?

MA : J’avais déjà un réseau donc cela m’a aidé lorsque j’ai débuté. J’ai ensuite collaboré avec de nombreux footballeurs internationaux africains qui évoluent dans les meilleurs clubs d’Afrique, des joueurs confirmés qui m’ont rapidement accordé leur confiance ainsi que quelques jeunes joueurs qui évoluent en Europe. L’une des choses les plus importantes c’est la confiance et la proximité avec son joueur. Aujourd’hui je suis devenu comme un grand frère. Au fil du temps par mon sérieux sur le terrain au quotidien, de nombreuses personnes du milieu bien placées ont commencé à me recommander à d’autres et c’est comme ça que je me suis lancé sérieusement. Mon réseau s’est conséquemment agrandi et en ce qui concerne mon cheminement vers  l’agence SC Sport Management, le projet que je voulais développer a collé avec les idées et l’état d’esprit de la team et la collaboration s’est donc faite naturellement.

TF : Sur quels marchés vous spécialisez-vous ?

MA : Plutôt le marché européen, avec la France, l’Espagne, l’Angleterre et l’Italie. Nous avons aussi plusieurs partenaires au Portugal, en Allemagne, en Suisse et en Turquie.

TF : Comment jugez-vous votre parcours jusque-là ?

MA : Je n’ai pas pour habitude de me mettre en lumière, je suis un homme de l’ombre mais je peux dire qu’aujourd’hui j’ai gagné en crédibilité. J’ai bien développé mon réseau et au-delà des connexions j’ai surtout su m’entourer de personnes intelligentes.

TF : Avez-vous un modèle dans le milieu ?

MA : Je n’ai pas spécialement de modèle mais je dirais peut-être que j’ai un parcours atypique qui m’inspire beaucoup, c’est celui de mon ami Ngolo Kanté. Son parcours démontre que quelque soit les difficultés et peu importe le domaine quand on se donne les moyens de réussir tout devient possible. J’invite d’ailleurs nos joueurs tunisiens à prendre exemple sur Ngolo.

Mehdi Abid avec Frédéric Kanouté et Ngolo Kanté

TF : Que pensez-vous des agents les plus influents du monde tel que Raiola ou Mendes ?

MA : Ce sont effectivement des agents très influents. Jorge Mendes est l’agent le plus médiatique au monde. Sa société  GESTIFUTE est prestigieuse. En tête de gondole on retrouve Cristiano Ronaldo qui l’a beaucoup aidé mais aussi un entraîneur comme José Mourinho. Il a une vraie colonie portugaise. Il a eu une période où de nombreux joueurs ont quitté son écurie car à force de gérer des Top players, il n’avait plus le temps pour les autres. Jorge Mendes est aussi mandaté par de nombreux clubs. Il doit contrôler plus d’une dizaine de clubs. Mino Raiola quant à lui est connu pour être un négociateur hors pair et aussi pour faire des sorties médiatiques remarquées. Il avait  réalisé le transfert record de Paul Pogba de la Juventus à Manchester United qui avait fait couler beaucoup d’encre. Si aujourd’hui les deux sont arrivés à ce top niveau c’est qu’ils ont bossé sérieusement même si les Top players qu’ils gèrent leur ont facilité beaucoup de choses. Ce sont les deux noms qui ressortent le plus souvent pour le grand public mais il y en a bien d’autres plus discrets qui sont tout autant influents et qui gèrent de très gros portefeuilles.

Quand on laisse travailler sérieusement les gens, il peut y avoir de belles choses de réalisées.

TF : Quels sont les principales qualités requises pour être agent ?

MA : Il faut avoir un très bon relationnel et connaître absolument le marché. Faire preuve d’une très grande patience, savoir être discret. Il faut aussi avoir une image irréprochable et bien entendu il est impératif d’avoir un carnet d’adresses important.

TF : Quel regard portez-vous sur le football tunisien ?

MA : Le football tunisien a toujours, malgré tout, une place importante et fait partie des meilleurs championnats africains  mais il n’est plus vraiment ce qu’il était il y a quelques années. Avant, on pouvait dire qu’il était clairement le N°1 mais aujourd’hui le championnat égyptien a pris le dessus, et le championnat marocain n’est pas mal du tout. J’ai quelques joueurs internationaux qui évoluent dans le championnat de Botola et je peux vous dire que la fédération marocaine a su faire évoluer les choses. Il y a une vraie amélioration des conditions économiques des clubs et ils ont de gros projets. Quand on regarde aujourd’hui les infrastructures, les stades, les complexes au  Maroc, eh bien la Tunisie a pris énormément de retard malheureusement. Il y a pleins de bonnes choses à faire pour améliorer le football  tunisien. Malheureusement il y a certaines personnes au sein de la fédération qui sont complètement imbus de leur personne et qui n’ont pas su apporter de vraies solutions. Ceci est valable aussi pour certains clubs avec beaucoup de conflits d’intérêt. Mais il n’y a pas que du mauvais. Quand on laisse travailler sérieusement les gens, il peut y avoir de belles choses de réalisées. Regardez la saison de Monastir et le travail de qualité de Lassaad Jarda. C’est intéressant de voir ça. Je pense d’ailleurs qu’on entendra parler de ce coach. Il serait grand temps que ça change. Il faut dire les choses telles qu’elles sont. Les personnes qui gravitent et qui conseillent certains responsables ne sont pas toujours bien intentionnées et ça en devient le cirque. Je trouve par exemple que la fédération pourrait aussi essayer de s’appuyer sur l’expérience de plusieurs franco-tunisiens pour développer et proposer davantage de solution sur le terrain que ce soit pour la formation et bien d’autre chose. Je pense notamment à un garçon comme Rachid Khlifi qui est aujourd’hui responsable recrutement France pour le club de Liverpool. Il fait un grand travail de qualité, bosse dans l’ombre mais il est aussi à la tête d’une structure  FRFP où il propose une formation complète afin de former au mieux les futurs recruteurs de demain. Il y a aussi d’anciens joueurs internationaux qui peuvent apporter des solutions comme Alaeddine Yahia pour ne citer qu’eux. Un point important qu’il faudrait absolument étudier, c’est la problématique du statut des associations sportives au sein des clubs tunisiens. Le statut juridique des clubs doit changer pour l’évolution du football tunisien. C’est important.

Les  joueurs tunisiens sont connus pour avoir une qualité technique bien au-dessus de la moyenne.

TF : Comment choisissez-vous un joueur pour une collaboration ?

MA : Pour commencer, il faut que je sois profondément convaincu du potentiel d’un joueur. Le club attend des résultats. On ne peut pas se permettre de lui proposer un joueur qui n’a pas les capacités physiques et mentales requises pour mener une carrière. Je cible, je me déplace l’observer en match, à l’entraînement, je fais très attention à son comportement, son entourage. C’est important. Pour moi si le joueur est bien conseillé, il progresse sereinement et les résultats sont positifs. J’échange avec lui sur son projet de carrière et si tout est ok on collabore. On ne prend pas un joueur juste pour le prendre et en avoir le plus possible. On choisit de travailler ensemble pour mener à bien des projets. Le but étant de travailler sur la durée, de bien connaître ses joueurs pour les représenter au mieux et défendre leurs intérêts. C’est pour cela que je fais le choix de la qualité et non pas de la quantité. En me concentrant sur un nombre limité de joueurs je suis sûr de pouvoir leur apporter toute l’attention et le soutien dont ils ont besoin.

TF : Comment trouvez-vous nos joueurs tunisiens en comparaisons aux autres pays ?

MA : Je trouve qu’il y a des joueurs de qualités très souvent. Les  joueurs tunisiens sont connus pour avoir une qualité technique bien au-dessus de la moyenne. Il faudrait que les  joueurs soient plus réguliers en enchaînant les bonnes performances tout au long de la saison et surtout très ambitieux. Qu’ils se donnent davantage les moyens pour essayer d’évoluer dans des meilleurs formations en Europe. Il faut être déterminé. Tout est psychologique, c’est dans la tête. Le haut niveau c’est l’Europe.
Dans le championnat tunisien, par exemple, un joueur comme Yassine Amri qui a réalisé une nouvelle fois une belle saison avec Monastir c’est le profil type du joueur très technique, créatif et qui je pense aurait pu aider plusieurs formations de Ligue 2 en France cette saison. C’est le Club Africain qui a su en profiter et qui a réalisé une belle opération en le recrutant il y a quelque jours. Le championnat tunisien réussit bien aux algériens. Ils arrivent à se servir de leur club comme tremplin. Comme Baghdad Bounedjah qui a marqué l’histoire de l’Étoile du Sahel ou bien Youcef Belaili que l’Espérance a remis sur les bons rails en décrochant une place de titulaire en sélection pour finir champion d’Afrique et dernièrement Karim Aribi de l’Étoile
, transféré à Nîmes. Il y a quelque joueurs qui évoluent à un bon niveau. C’est le cas de Wahbi Khazri, Ellyes Skhiri et Dylan Bronn en Ligue 1 mais ils sont très peu malheureusement. Un joueur comme Ali Abdi qui se bat, il s’accroche au Paris FC. Il vient de démarrer plutôt un bon début de saison. Il a beaucoup de mérite. Le club peut aussi maintenant le faire évoluer au poste de milieu offensif. C’est le cas aussi d’Aymen Ben Mohamed avec le HAC. Un garçon qui a une bonne mentalité de travailleur. C’est une bonne chose de voir des joueurs comme eux qui s’accrochent pour réussir en Europe et qui n’ont pas choisi d’aller rapidement évoluer dans les clubs du golfe comme la plupart des joueurs tunisiens ces derniers temps. Certains joueurs locaux  tunisiens n’ont encore absolument rien accompli dans le foot et ils ont déjà un ego surdimensionné. Souvent, leur entourage les voit beaucoup trop beaux trop vite et les médias ça ne les aide pas. Nous sommes loin de l’époque d’un Zoubaier Baya par exemple qui fut l’un des premiers joueur maghrébin à porter le brassard de capitaine en Bundesliga. Il a su ouvrir les portes à de nombreux joueurs tunisiens et surtout montré une belle image.

Aujourd’hui certains présidents tunisiens vont même jusqu’à prendre la casquette d’agent.

TF : Quelles difficultés avez-vous rencontré avec les clubs tunisiens ?

MA : Les difficultés dans certains clubs sont très souvent les mêmes. On ne sait même plus qui gère quoi. Si seulement chacun respectait son poste et ses missions ça serait plus simple. Aujourd’hui certains présidents tunisiens vont même jusqu’à prendre la casquette d’agent. Un des problèmes  fréquemment rencontré, c’est quand nous faisons parvenir une offre pour un joueur qui a le potentiel pour évoluer en Europe. Certains présidents demandent des montants de transfert beaucoup trop élevés. Il faut savoir faire preuve de discernement et trouver le juste milieu. Le club qui souhaite recruter le joueur doit aussi respecter le club vendeur mais très souvent les clubs exagèrent sous prétexte qu’il y a des possibilités pour le joueur d’aller évoluer dans un club des pays du golfe. Mais l’Europe ce n’est pas le golfe et du coup souvent on aperçoit des transferts qui capotent par rapport à toutes ces choses-là. Un autre fait également courant, certains clubs conseillent à leurs joueurs potentiellement sollicités de signer des mandats multiples avec différents agents. On peut donc trouver un joueur qui mandate plusieurs agents différents dans plusieurs pays pensant ainsi augmenter les chances de son côté, d’avoir des offres alors que très souvent on constate que c’est l’effet inverse. Il se retrouve sans aucune offre concrète !

Mehdi Abid avec El Arabi et N’Golo Kanté

TF : Qu’est-ce qui fait que le joueur tunisien échoue souvent en Europe ?

MA : Les quelques talents tunisiens ont du mal à s’adapter aux exigences du haut niveau européen tout simplement et je pense que l’un des premiers facteur c’est qu’ils  sortent beaucoup trop tard de leur club. Certains à 24, 25 ans. En Tunisie on encense trop les joueurs et quand ils arrivent dans un vestiaire en Europe où on ne leur fait pas de cadeau ils sont juste pas prêts mentalement. Le problème commence chez les jeunes puisqu’ils ne travaillent pas assez sur le plan physique et mental dés l’âge de 15 / 18 ans. Il faudrait des Tops formateurs européens avec des vrais projets sur le long terme, capables de dynamiser des centres de formations. Quand on regarde un centre de formation comme celui de l’Étoile du Sahel, il pourrait devenir la perle des centres en Afrique si le club se donne les moyens de le développer comme il se doit.

En Tunisie on encense trop les joueurs et quand ils arrivent dans un vestiaire en Europe où on ne leur fait pas de cadeau ils sont juste pas prêts mentalement.

TF : Selon vous qu’est-ce qu’il faut changer pour améliorer la situation ?

MA : Aujourd’hui, avoir un don ne suffit plus pour faire carrière au niveau professionnel. Il faut être irréprochable dans son hygiène de vie et assidu au travail pour réussir sa carrière. Le respect des valeurs et de l’éducation sont des éléments auxquels j’accorde beaucoup d’importance. Et je ne suis pas le seul à faire attention à ces paramètres. Les clubs accordent également de plus en plus d’importance aux qualités morales des joueurs. Le joueur tunisien doit donc faire impérativement attention afin d’être au top sur tous ces points. Il faut avoir un mental d’acier car la concurrence est beaucoup trop importante. Il faut être un bosseur. Il faut avoir une force mentale. Le haut niveau demande énormément de persévérance et si tu n’es pas prêt en Europe, on ne t’attendra pas. C’est un autre qui prend ta place.

TF : Quelles anecdotes ou insolites pouvez-vous nous raconter sur les transferts que vous avez gérés ?

MA : Il y en a quelques une oui bien sur mais je retiendrai  la dernière en date. Puisqu’on parle justement de joueurs tunisiens, c’était il y a quelque mois et ça concerne le dossier du jeune Aziz Falleh, 18 ans. Un jeune joueur très prometteur qui évolue à l’Étoile du Sahel. J’ai réussi à lui décrocher un essai avec le LOSC par l’intermédiaire de Christian Larièpe, responsable recrutement du LOSC Afrique qui a donc analysé son dossier et validé. C’est un grand spécialiste du football africain. Cela fait des années qu’il travaille avec Luis Campos. L’invitation a été transmise à la direction de l’Étoile. Il y a donc un réel intérêt  du LOSC pour ce joueur. Seulement la réponse du club tunisien fut surprenante. Ils se sont précipités de répondre par mail, si votre club est intéressé par notre joueur sachez qu’il a un contrat de 5 ans. Merci de nous faire parvenir votre offre. Or le joueur a un contrat de 3 ans, cela est bien stipulé dans ce denier. Le fait de transmettre des informations erronées venant de la direction d’un grand club comme l’Étoile est très étonnant. Ce n’est pas bon pour l’image du club. Supposons que ce soit une erreur, la moindre des choses aurait été de prendre contact avec le club afin d’échanger surtout quand il s’agit d’un Top club en France. Ce sont des opportunités qui ne se présentent pas régulièrement avec tout le respect que j’ai pour le club. Le but n’est pas ici d’apporter des critiques inutiles simplement il faut que les directions des clubs (en Tunisie) fassent preuve davantage de professionnalisme surtout lorsque qu’ils sont sollicités par de bon clubs européens. C’est important. Néanmoins le dossier est toujours en cours et la cellule recrutement travaille toujours dessus nécessitant un déplacement sur place.

TF : Un dernier mot pour les Tfistes ?

MA : Merci pour votre invitation très bonne continuation à tous. Soyez patients et continuez toujours de supporter le football tunisien.

Tykra

Passionné par la Tunisie et le football en général, j’ai découvert Tunisie-Foot en 2005, la référence du football tunisien depuis 1998 !

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