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[Exclu TF] : Interview d’Adel Chedli

La Coupe des Confédérations : « Cela fait plaisir d’avoir pratiqué du bon football mais on n’a pas été récompensé »

En dépit de deux défaites (Argentine et Allemagne) dans cette compétition, on a quand même vu de très bonnes prestations de la part de l’Equipe Nationale, notamment au niveau de la maîtrise technique. Comment l’expliquez-vous ? Quelles ont été vos impressions lors de cette Coupe des Confédérations?

Tout d’abord, le groupe n’a pas beaucoup changé. Il y a de très bons joueurs dans cette équipe. D’ailleurs, la plupart évoluent en Europe. Tout le monde a donc progressé tactiquement et même techniquement. J’ai revu les matchs et c’est vrai que c’est beau à voir. Même les commentateurs disaient qu’on ne méritait pas de perdre les deux premiers matchs face à deux grosses équipes.
Nous étions allé disputer cette Coupe des Confédérations pour ne pas être ridicule et nous avons montré que la Tunisie est une grande nation du football. D’ailleurs, je sais que les allemands veulent qu’on revienne pour la Coupe du Monde.
Cela fait plaisir qu’on ait pratiqué du bon football mais on n’a pas été récompensé.

Vous avez été aussi une des principales révélations tunisiennes de cette compétition, cela revient-il à un nouveau placement à gauche ou plutôt à une saison au cours de laquelle vous avez enfin eu du temps de jeu?

C’est vrai que quand tu joues plus, tu es moins surpris de tes performances comme pendant la CAN alors que je n’avais quasiment pas joué. J’avais enfin fait une saison pleine à Istres à part quand ma maladie m’a stoppé deux mois. En plus, j’avais à cœur de faire de bons matchs. En plus, le fait d’avoir remporté les deux derniers matchs qualificatifs de la Coupe du Monde et d’avoir marqué, cela m’a mis en confiance. J’ai joué plus libéré pendant cette Coupe des Confédérations.
Concernant mon positionnement, j’ai toujours joué à gauche avec la sélection mais je ne prenais pas assez de risques avant. Maintenant, je sais ce que l’entraîneur attend de moi. Le dernier match contre l’Australie, j’ai même joué arrière gauche. Je m’en suis pas mal tiré. De toute façon, où on me dira de jouer, je jouerais. Comme je l’ai toujours dit, je joue avant tout pour le maillot.

Quelles leçons tirez-vous de la Coupe des Confédération ? Ne pensez-vous pas que l’EN aurait pu faire beaucoup mieux? Qu’a t’il manqué à l’EN?

Cela s’est joué à peu de choses. Lors du premier match contre l’Argentine, il y a eu un malentendu entre l’entraîneur et les joueurs car Roger nous avait dit d’attendre mais haut. En plus, les joueur qui ont joué n’avait pas l’habitude de jouer donc on a attendu mais bas et on procédait plus en contre. On n’avait donc pas la maîtrise du ballon. On a beaucoup couru en première mi-temps dans le vide. En plus, le penalty raté aurait pu changer la physionomie du match. Quand on regarde les actions qu’on a eu en deuxième mi-temps, je me dis qu’au minimum on aurait pu faire un match nul.
Contre l’Allemagne, c’est l’inverse, ils n’ont pas vu le jour. On les a « bouffé » techniquement et sur une erreur de concentration, on prend un penalty alors que le joueur en a largement rajouté et puis on perd le match en 5 minutes. C’est frustrant mais c’est les choses qu’on devra travailler à l’avenir. Surtout, avec le groupe qu’on a, on peut faire beaucoup de choses. Tout le monde en est conscient. Il faut donc corriger ces erreurs d’inattention et ces pertes de concentration.
Contre l’Australie, on a fait le match parfait. On a concrétisé nos occasions, on a été bon offensivement et défensivement.

Les éliminatoires de la Coupe du Monde 2006 : « On sera hyper motivé »

Pouvez-vous nous décrire l’ambiance de l’EN avant ces trois derniers matchs capitaux ? Les joueurs sont-ils confiant pour la Coupe du Monde 2006 ?

L’ambiance est bonne. Les deux dernières victoires comptant pour les éliminatoires nous ont remis un moral de fer. Le fait aussi d’apprendre que le Maroc a fait match nul face au Kenya, cela nous a aussi boosté. C’est pour cela aussi qu’on a fait de bonne prestation lors de la Coupe des Confédérations.
Au jour d’aujourd’hui, on est super motivé, il y a un groupe extraordinaire. Il y a de la joie, tout le monde s’entend bien. Il n’y a pas de clan comme autrefois. C’est le top. D’ailleurs, j’attends avec impatience les prochaines sélections parce que je vais revoir mes potes et parce que les matchs seront très importants. Si on gagne le prochain match, on est premier du groupe et on mettra la pression sur tout le monde. En plus, j’ai appris qu’on allait jouer à huis clos contre le Kenya. Ce sont des signes qui ne trompent pas. Si on réussi à prendre quatre points sur les deux matchs face au Kenya, on se qualifiera parce qu’on va se donner à fond contre le Maroc et parce qu’on a été traité comme des chiens là-bas. On nous a balancé des barres de fer sur le terrain, certains joueurs ont été frappés en allant dans les vestiaires. On sera donc hyper motivé.

Quels sont les mots de Roger Lemerre avant d’aborder ces rencontres ?

Déjà par rapport au match de la Guinée, il nous a dit que de toute sa carrière d’entraîneur, ça a été son match le plus stressant. C’était un tournant. Si on ne gagnait pas ce match, on était quasiment éliminé. On a fait un pas. Il a dit qu’on était sous l’eau et qu’on commençait à remonter à la surface petit à petit.

De nouveaux joueurs ont intégré l’EN (notamment Hamed Namouchi, Chaouki Ben Saada, Heykel Guemendia, Issam Jomaa). Pouvez-vous nous donner vos impressions sur ces joueurs?

Ce sont des joueurs de talent. Namouchi et Ben Saada, ce sont des ‘clowns’ ! Ils ont apporté leur joie et de la bonne humeur. Ils sont rentrés dans le groupe sans se poser de questions. Quand je repense à Ben Saada, je me dis : « c’est un malade, ce mec ! ». On sent qu’il a envie de vivre et qu’il est super content d’être là. Pour Jomaa, Il a d’énormes qualités et c’est un espoir du football tunisien. Pour Guemendia, je savais qu’il avait terminé meilleur buteur du championnat mais je ne l’ai connu qu’à partir de la Coupe des Confédérations et il m’a surpris. Il y a plusieurs clubs français qui s’intéressent à lui, j’espère que cela va se concrétiser pour lui car il le mérite.

Lors de différentes interviews sur TF, différents joueurs nous ont dit qu’ils n’avaient pas encore fait leur choix entre la Tunisie et la France. Quel message pourriez-vous leur adresser ? Pensez-vous que l’avenir du foot tunisien se situe en Europe avec tous les jeunes de 3ème génération?

Plus il y aura de joueurs qui évolueront en Europe que ce soit de la troisième génération ou pas, plus l’Equipe Nationale sera forte. Pendant la CAN, on était six-sept à évoluer en Europe, on a pratiqué du bon football mais pas aussi bon que celui qu’on pratique aujourd’hui. Aujourd’hui, on voit des enchaînements qu’on ne voit qu’en Europe.
Personnellement, je suis né tunisien mais j’ai vécu en France. La Tunisie, c’est ma patrie. Il n’y a rien à redire. On ne s’appelle pas Michel, Jean-Pierre… mais plutôt Kader, Rachid, Adel… Pour nous, c’est logique de choisir la Tunisie. Après, je ne suis pas dans la tête des mecs. Aujourd’hui, je suis content que Namouchi et Ben Saada aient choisi la Tunisie. Le meilleur exemple, c’est Santos. Il a vécu deux ans en Tunisie, il est tombé amoureux du pays. Il ne s’est pas posé de question, il a voulu jouer avec la Tunisie et il est venu.
Plus il y aura de jeunes évoluant en Europe qui joueront avec la Tunisie, mieux ce sera pour l’EN et même pour eux.

Comment jugez-vous le niveau de l’EN aujourd’hui par rapport à l’EN en 1997 lorsque vous avez connu votre première sélection ?

La mentalité des joueurs n’est pas la même dans un premier temps et même au niveau de la fédération, ça a beaucoup évolué. Ils se sont donnés les moyens. Par exemple, le complexe à Radès. En Afrique, il n’y a pas mieux que ce complexe.
Au niveau de la mentalité, il n’y a plus de différence entre les joueurs qui jouent en Europe et ceux qui jouent en Tunisie. La qualité des entraînements est très bonne. Même la qualité de jeu a changé. Autrefois, c’était beaucoup plus individualiste, c’était « chacun pour sa gueule » et ça se ressent sur le terrain.

FC Nürnberg : « Porter haut les couleurs de la Tunisie en Allemagne avec Jawhar »

Pourquoi n’avez-vous jamais réussi à vous imposer dans le championnat français malgré votre énorme potentiel?

C’est des détails. Une galère, ça tient à peu de chose. J’ai débuté à 17 ans à Saint-Etienne, j’étais le grand espoir. Je n’étais pas encore professionnel. Beaucoup de clubs, comme Metz à l’époque de Pirès, Lyon ou Bordeaux, me voulaient mais on ne me l’a jamais dit. On me l’a dit qu’après avoir signé mon premier contrat pro avec l’ASSE. A l’époque, je n’avais pas d’agent. J’ai enchaîné les matchs en D1 puis Saint-Etienne a été relégué en D2 et je ne voulais pas y jouer. Je suis donc parti à Sochaux. On était ensuite descendu, puis on est remonté. J’avais toujours joué. Jusqu’au jour où je me suis mêlé d’une histoire, ils avaient viré Jean Fernandez alors qu’il avait tout apporté au club. Je n’avais pas apprécié comment ils l’avaient traité et ils m’ont dit de « fermer ma gueule » et moi je le disait haut et fort. Cela m’est donc retombé dessus et ils m’ont écarté pendant deux ans.
C’était plus des raisons relationnelles que sportives. Lorsque j’ai quitté le club, Lacombe m’a convoqué et au lieu de me dire les choses clairement deux ans avant, il me les dit deux ans après. Il m’a dit que j’étais un bon joueur, qu’il n’avait rien à me reprocher sportivement mais que ça ne venait pas de lui. Avant mon départ, j’ai réglé mes histoires avec Plessis. Aujourd’hui, c’est la guerre entre nous. Je ne lui parle pas. Lorsque j’ai joué contre Sochaux, je ne lui ai pas serré la main et c’est même des insultes qui partent en l’air.
Ensuite quand tu ne joues pas pendant deux ans, c’est difficile de trouver un club. A cette époque, Metz m’avait contacté quand Fernandez était encore là-bas mais Sochaux ne voulait pas me laisser partir. Puis, il ne me restait plus que Istres. Je n’avais pas trop le choix. Quand tu sais qu’il y a 300 chômeurs, tu prends ce qui te tombe dessus. Je ne joue pas pour la gloire mais surtout pour nourrir ma famille et c’est ça le plus important. J’ai vécu une année galère à Istres et c’est là que je remercie ma femme pour son soutien. Aujourd’hui, je récolte le fruit de mon travail.

Vous avez enfin signé au FC Nürnberg. Comment se sont fait les contacts ? Quelles ont été les autres pistes ?

Avant la Coupe des Confédérations, je m’étais quasiment mis d’accord avec Metz. Ensuite, Fernandez est parti à Marseille, donc cela a capoté. Avant la dernière journée de championnat, j’avais discuté avec le président de Saint-Etienne. Comme je suis originaire de là-bas, ils étaient pour un retour de l’enfant de la région mais ça a traîné. Ensuite, il y a eu la Coupe des Confédérations. Après mon premier match face à l’Argentine, des clubs allemands comme Hanovre et Mainz et Leeds aussi en Angleterre étaient intéressés. Par contre, Nuremberg m’a contacté après mon match face à l’Allemagne. Ils m’ont attendu à l’hôtel et m’ont même suivi jusqu’à Leipzig [NDLR : Match contre l’Australie]. Il y a eu aussi les dirigeants de l’Espérance Sportive de Tunis qui sont venus. J’ai joué « ma carrière » durant cette Coupe des Confédérations.

Pourquoi avoir privilégié Nürnberg ? Quelles sont tes premières impressions au sein du club ?

Jean Fernandez m’avait appelé un jour avant. On s’appelle souvent, je lui ai expliqué ma situation. Il m’a dit de foncer parce qu’il connaissait bien le club. Il venait souvent voir le championnat allemand. Il m’a dit que c’était un championnat où il y avait toujours entre 40000 et 60000 spectateurs et que les infrastructures étaient magnifiques. J’ai visité les infrastructures et c’est vrai que quand tu vois un centre d’entraînement de neuf terrains où c’est des moquettes. Ils ont un bus à eux mais ce n’est pas un bus ordinaire. Aujourd’hui, je suis comme un gamin quand je vois ce qu’il y a dans ce club. La France à coté, c’est rien !
Sur ce que j’ai vu dans ce pays pendant cette Coupe des Confédérations, j’ai été impressionné. L’Allemagne est un beau pays, les stades sont magnifiques. J’en ai aussi discuté avec Zoubeir Beya, il m’a encouragé à y aller. Il m’a dit que c’était un championnat qui me correspondait. Les discussions ont duré 3-4 jours puis j’ai donné mon accord. Le jour où j’ai donné mon accord, il y a eu le Benfica Lisbonne qui s’est manifesté mais je suis un homme de parole et je suis resté sur ce choix.

Comment se passe votre adaptation par rapport à ce nouveau pays et même par rapport au club ?

A la base, j’avais un peu peur pour ma famille puis on m’a donné des garantis notamment pour mes enfants pour qu’il puisse encore apprendre le français. Je viens de trouver une maison. De toute façon, quand on part à l’étranger, c’est ça qui fait un peu peur. De toute façon, ça fait partie de la vie. Comme m’a dit Roger Lemerre, je ne suis pas marié avec la France. En plus, l’Allemagne, c’est bien ! Le seul petit problème que j’ai, c’est par rapport à la langue. Dès que je suis arrivé au club, on est parti en stage tout de suite, je n’ai donc pas pu prendre de professeurs. J’essaie d’apprendre les mots les plus importants le temps d’avoir un professeur mais sincèrement, je crois que si je maîtrisais l’allemand, je ne bougerais plus de l’Allemagne.
Par rapport au club, j’ai été super bien accueilli. L’avantage, c’est qu’il y a un joueur suisse qui parle l’allemand, le français et l’italien. Il me sert donc d’interlocuteur avec l’entraîneur. Ici, tout le monde parle allemand ou en anglais. Je ne maîtrise pas l’anglais non plus. D’ailleurs, Jawhar se débrouille mieux que moi en anglais et en allemand. Cela se passe bien, tous les joueurs sont sympas.

Quels sont vos objectifs personnels et ceux du club cette saison ?

Tout d’abord, porter haut les couleurs de la Tunisie en Allemagne. On est les porte-drapeaux du pays avec Jawhar. Mes objectifs personnels avec Nuremberg, c’est de mettre cette saison entre 5 et 8 buts cette saison, de faire le plus de matchs possibles et d’apporter sur le terrain la confiance qu’ont mis en moi les dirigeants. L’objectif du club, c’est de terminer dans les dix premiers. Il y a de très bons joueurs et on peut le faire.
Les objectifs avec l’EN, c’est bien sur de disputer la Coupe du Monde et la CAN, de remettre notre titre en jeu et de passer le premier tour de la Coupe du Monde si on se qualifie Inchallah.

Que penses-vous pouvoir apporter à votre nouvelle équipe?

Les caractéristiques du football allemand sont surtout le physique. J’espère apporter ma qualité technique. L’entraîneur veut me faire jouer à un poste plus offensif qu’en sélection pour pouvoir déstabiliser les défenses. Selon lui, j’ai une bonne frappe des deux pieds et il a vraiment insisté là-dessus parce que c’est vrai qu’avant, j’avais un rôle plus défensif et je n’osais pas trop frapper au but.

Vous avez rejoint un autre tunisien à Nürnberg, Jawhar Mnari. A quel poste l’entraîneur compte t’il vous faire jouer ? Serez-vous associé à Jawhar Mnari ou en concurrence ?

Depuis qu’on est au club, on a toujours joué ensemble. En fait, l’entraîneur a deux choix tactiques : soit comme en équipe nationale avec trois milieux défensifs en losange avec Jawhar en pivot et moi en milieu gauche et Polak à droite ou soit avec deux pivots, un régisseur et trois attaquants pour presser les adversaires. Dans ce dispositif, l’entraîneur veut me faire jouer parmi ces trois attaquants mais à gauche. Lors du dernier match, il m’a un peu engueulé parce qu’il disait que je défendais trop alors que je suis censé rester devant. C’est au défenseur de défendre et à moi de rester devant. En tout cas, l’entraîneur est content de notre travail. Tout a été claire au départ. L’entraîneur voulait nous faire jouer les deux. On ne sera pas en concurrence.
Après, c’est à nous aussi de prouver sur le terrain. Si on mérite de jouer, on jouera. Si au contraire, on ne le mérite pas, on ne jouera pas. Il y a quand même un super groupe de 30 joueurs et quasiment que des internationaux.

Que pensez-vous du niveau du football allemand?

C’est un championnat de très bon niveau. Il y a que des grosse équipes dans le championnat. On ne joue que contre des bonne équipe : le Bayern, Dortmund, Schalke, Stuttgart, Hambourg dans des stades qui sont pleins. C‘est le rêve de tout joueur.

Que pensent les allemands du football tunisien ?

Ils nous respectent parce qu’ils ont vu qu’on avait un énorme potentiel. J’ai vu dans la presse en Allemagne que même Beckenbauer a été bluffé par notre jeu et qu’il souhaitait vraiment que la Tunisie revienne en 2006. C’est à nous de montrer avec Jawhar que les tunisiens sont présents.

Interview réalisée par Gahwa

Tunisie-Foot

Je suis un automate. Je sers notamment dans les migrations techniques du site Tunisie-Foot. Ne cherchez pas à me contacter, je ne sais pas répondre :-)

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